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3 juin 2010 4 03 /06 /juin /2010 16:57

Les «oubliés» des nouveaux programmes de sciences éco

02 Juin 2010

Par Les invités de Mediapart 
<http://www.mediapart.fr/club/edition/les-invites-de-mediapart>  


Gilles Raveaud, économiste, dénonce les futurs programmes de première qui accordent une place de choix à l'analyse théorique des marchés, oublient purement et simplement les inégalités ou les services publics et délaissent le chômage, l'inflation,  les déficits...

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 Le nouveau programme ( voir le contenu complet sur Eduscol, site officiel du Ministère de l'E.N.) 

<http://media.eduscol.education.fr/file/consultation/88/6/premiere_projet_prog_2010_ES_SES_145886.pdf>  de sciences économiques et sociales pour la classe de première au lycée accorde une place disproportionnée à l’analyse théorique du fonctionnement des marchés parfaits. Ce programme ne mentionne qu’en passant certaines questions essentielles, comme le chômage, l’inflation, et les déficits. D’autres questions majeures, comme les inégalités, les services publics, ou l’environnement sont absentes du programme. Enfin, ce programme nie l’existence d’écoles de pensée différentes en économie (libéraux, keynésiens, marxistes, institutionnalistes).

Les rédacteurs des programmes de sciences économiques et sociales au lycée sont décidément incorrigibles. Après avoir dû, suite à de nombreuses réactions, revoir leur programme de seconde <http://www.idies.org/index.php?post/Enseignement-de-leconomie-en-seconde-%3A-nouveaux-nouveaux-programmes> , les voilà qui récidivent en proposant un programme pour la classe de première fortement déséquilibré en faveur de la micro-économie et des deux mythes que constituent le consommateur rationnel et les marchés parfaits.

Pourtant, tout commence bien dans ce programme, qui reconnaît l’existence d’une «pluralité d’approches théoriques» en économie, sociologie, et en science politique, et qui affiche sa pluridisciplinarité. Mais, très vite, les choses se gâtent. Ainsi, le programme définit la   «démarche de l’économiste» par la question de «la rareté des ressources», qui «engendre la nécessité des choix». Face a cette rareté, l’économiste utilise, selon les auteurs du programme, «le raisonnement coût-bénéfice», et ce «tant au niveau de l’acteur individuel (individu, entreprise) qu’au niveau de la société et des choix collectifs». Enfin, le programme demande aux enseignants «d’insister sur le caractère extensif de la notion de rationalité qui sous-tend le raisonnement économique».

Peu importe aux auteurs que cette définition de la science économique ait été fortement remise en cause depuis des décennies par nombre d’économistes, y compris les plus prestigieux. Le programme demeure dans l’approche positiviste selon laquelle l’économiste est le scientifique des choix en situation de rareté.

 

Le programme évacue, par cette approche réductionniste et instrumentaliste, trois aspects essentiels du travail de l’économiste.

° Tout d’abord, la réflexion sur les fins poursuivies. Il est faux de prétendre, comme le fait le programme, que les économistes ne réfléchissent que sur les moyens, laissant le choix des fins à «la société» ou «aux hommes politiques». Tous les économistes ont des préférences normatives – et c’est très bien comme cela.

° Ensuite, le programme oublie ce qui constitue la véritable question économique, c’est-à-dire le partage des richesses.

°  Enfin, le programme oublie la question, pourtant chaque jour plus essentielle, de savoir ce qu’est-ce qu’une richesse.

Quels sont les buts du système économique? Comment la valeur des biens est-elle établie? Comment les richesses doivent-elles être réparties entre les différents contributeurs, présents et passés?

  Voilà les questions auxquelles les économistes tentent de répondre, loin des fables simplistes sur le choix des moyens pour atteindre des objectifs donnés (par qui?) en situation de rareté. Et pour y répondre, les économistes utilisent des concepts et des cadres théoriques variés, qui présentent des oppositions irréductibles entre eux. Il est faux de laisser croire qu’il existe une et une seule science économique. L’économie se caractérise, comme la sociologie et la science politique, par une pluralité d’école de pensées, de méthodes et d’approches. Il existe, de par le monde, des économistes keynésiens, marxistes, libéraux, institutionnalistes, critiques de la croissance, etc. Tout le monde le sait et le voit, sauf les auteurs de ce programme. Passer sous silence cette diversité, c’est faire preuve de malhonnêteté intellectuelle, en plus d’appauvrir considérablement le contenu réel de notre discipline.

Conformément à ses orientations, le programme demande aux enseignants de passer un temps considérable à la présentation de  «robinsonnades» - le terme est utilisé, par provocation sans doute. Les robinsonnades sont ces fables, que Marx dénonçait déjà en son temps, dans lesquelles on espère faire saisir des concepts fondamentaux aux élèves en imaginant des situations simplifiées à l’extrême, comme celle de Robinson seul sur son île qui doit décider s’il construit une canne à pêche ou s’il va cueillir des fruits. Or, ces fables sont trompeuses, car elles instillent dans les esprits l’idée que le système économique est un système d’échange volontaire, sympathique et pacifique, qui ne fait que des gagnants. Les robinsonnades – c’est leur but – «oublient» les institutions économiques que sont la monnaie, les entreprises, les inégalités de naissance, le rôle de l’Etat, et même les marchés réels.

Pour les auteurs du programme, l’économie n’est pas difficile, mais heureuse. Les marchés sont équilibrés, et l’échange bénéficie à tous. Ainsi, à propos des échanges internationaux, il est demandé aux enseignants de «mettre en évidence les avantages du développement des échanges, notamment entre nations». Demande stupéfiante à l’heure où le débat sur les conséquences de la mondialisation – le terme n’est pas utilisé – fait rage, y compris au sein des meilleurs spécialistes. La mondialisation accroît-elle les inégalités, ou les réduit-elles? Favorise-t-elle la croissance, ou les crises? En voilà, pour reprendre les termes introductifs du programme, des «énigmes, paradoxes, interrogations susceptibles de susciter la curiosité des élèves». Au contraire, le programme demande aux enseignants d’isoler leurs lycéens du bruit du monde, pour leur livrer une image uniformément positive, donc déformée, des effets du commerce international.

A propos de l’entreprise, les choses sont moins orientées normativement, mais c’est alors la cohérence du programme qui est atteinte. En effet, il est demandé aux enseignants de présenter d’abord la version néo-classique de l’entreprise comme lieu abstrait de combinaison de facteurs de production. Puis, des mois plus tard, les enseignants devront revenir sur ce sujet pour présenter l’entreprise comme étant cette fois-ci «un mode de coordination par la hiérarchie». Entreprise passive qui combine les facteurs de production selon leurs prix ou décision de l’entrepreneur qui impose ses choix, il faut choisir. Ou il faut admettre que des visions différentes de l’entreprise existent au sein des économistes, selon que l’accent est mis sur l’échange ou sur la hiérarchie. Mais bien sûr, reconnaître cela est impossible puisqu’il existe, selon les auteurs du programme, une science économique et une seule.

Dans ce programme, seul un sous-thème sur 15 (soit 6% à 7% du programme) porte sur «les déséquilibres macroéconomiques». Au sein de ce seul sous-thème, l’enseignant doit «présenter les grands déséquilibres macroéconomiques» que sont, tenez-vous bien, rien que  «l’inflation, la déflation, le chômage, et le déficit commercial». Mieux: l’enseignant devra faire le lien avec «la demande globale» et «les orientations de la politique économique». Enfin, histoire que les choses soient définitivement simples, cette «première approche» devra s’inscrire «dans la perspective européenne et globale, permettant d’évoquer les interdépendances entre économies nationales». Bref, il est demandé aux enseignants de traiter en quelques heures ce qui leur demanderait des semaines. Et comme cet enseignement se situe en fin de programme, il risquera d’être encore réduit.

Mais le sort fait à ces questions reste plus enviable que celui fait aux inégalités (entre et au sein des pays), aux services publics et à l’environnement. Ces trois questions, trop mineures sans doute, sont absentes du programme. Mais ce n’est pas grave. L’essentiel n’est pas que les élèves commencent à comprendre ce dont les journaux parlent tous les jours. Non, ce qui est important, c’est qu’ils connaissent le modèle du consommateur rationnel et du marché parfait, même s’ils ne se comporteront jamais comme le premier et même s’ils ne rencontreront jamais le second.

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Sur le même sujet, lire l’excellent texte de Gérard Grosse <http://www.idies.org/index.php?post/Le-projet-de-programme-de-SES-pour-la-classe-de-premiere-%3A-un-projet-radical> , qui pointe de plus d’autres éléments néfastes de ce programme, comme le recul de l’approche par questions pour passer à une approche dérivée de ce qui se fait (mal) à l’université; le poids excessif de l’économie par rapport à la sociologie et à la science politique; l’oubli des classes sociales en sociologie; les consignes extrêmement précises données aux enseignants qui réduit à presque rien leur liberté pédagogique ...etc.

 

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Gilles Raveaud est maître de conférences en économie à l'Institut d'Etudes Européennes de l'université Paris 8 Saint-Denis. Il a contribué aux ouvrages Petit Bréviaire des idées reçues en économie (La Découverte) et Douze économistes contre le projet de constitution européenne (L'Harmattan). Il est membre du comité de rédaction de la revue L'Economie Politique.  

 
Source : http://www.mediapart.fr/club/edition/les-invites-de-mediapart/article/020610/les-oublies-des-nouveaux-programmes-de-sciences

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P
<br /> <br /> Une catastrophe...<br /> <br /> <br /> <br />
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  • Adjoint au maire honoraire de La Rochelle. Ancien professeur de lycée en S.E.S. et chargé de cours d'éco Université de La Rochelle. Docteur en histoire. Militant LDH La Rochelle.
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