Jusqu’au milieu du XIXe siècle, les bateaux et les techniques de pêche n’ont connu que des évolutions lentes « La pêche reste le parent pauvre de l’industrie et du commerce »[1]. La pêche maritime a toujours gardé un caractère artisanal. Jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, l’histoire économique et sociale des pêches maritimes demeure statique. « La relative fixité des techniques de pêche, la surexploitation des fonds côtiers et les cycles de raréfaction de certaines espèces migratoires (sardine-thon) entraînent la misère des pêcheurs de la côte »[2].
La Rochelle (Rochella), modeste bourgade de pêcheurs, connaît au XIe siècle un essor maritime, essentiellement commercial. Côtière pendant des siècles, la pêche rochelaise va connaître un certain développement avec la « grande pêche », la pêche lointaine de la morue sur le grand banc de Terre-Neuve particulièrement. Dès le quinzième siècle, des navires rochelais arment régulièrement pour la grande pêche à Terre-Neuve[3]. En 1766, La Rochelle compte 16 Terre-neuviens[4]. Cette grande pêche devient marginale, à La Rochelle, au début du 20e siècle. Les mauvaises années traversées par cette pêche à Terre-Neuve depuis 1927 lassent les armateurs. La Rochelle ne compte plus que quelques chalutiers et voiliers allant pêcher au loin[5].
Mais, au XXe siècle, La Rochelle devient l’un des six grands ports de pêche industrielle français avec Boulogne, Dieppe, Fécamp, Lorient et Arcachon[6], le deuxième port français derrière Boulogne-sur-Mer[7]. Il connaîtra une grande prospérité jusqu’aux années 1960, avec 85 chalutiers de plus de 100 tonneaux en 1964. Il est alors le quatrième port de pêche français[8].
Sa situation géographique privilégiée, au cœur du Golfe de Gascogne, en fait un port permettant d’accéder rapidement aux lieux de pêche du Golfe et de débarquer le poisson frais pour la vente à la criée.
Des inventions extérieures à la pêche créent les conditions du développement dune véritable industrie de la pêche en France, mais aussi, plus précocement, dans d’autres pays de l’Atlantique, en particulier la Grande-Bretagne. Dès 1795, est mis au point un procédé de conservation des aliments cuits, qui permet la création d’une industrie de la conserve et, en 1824, la cuisson des sardines dans l’huile d’olive, selon l’idée de Joseph Colin, un industriel nantais. En 1827, une première conserverie s’installe à La Rochelle. Le chemin de fer relie les villes, dont La Rochelle avec l’ouverture de sa gare en 1857, réduisant fortement les temps de transport. En 1876, Charles Tellier met au point un système de conservation de la viande par le froid, ouvrant des perspectives pour la pêche. En 1884, à La Rochelle, s’installe la première fabrique de glace artificielle près de l’encan des Carmes.
Cependant, il faut attendre la fin du XIXe siècle, 1898, pour qu’une invention anglaise, celle du chalut ottertrawl, donne une impulsion décisive au développement rapide de la pêche industrielle, en favorisant une augmentation conséquente de ses rendements[9]. L’application de la vapeur à la navigation, datant de 1807, permet la construction de chalutiers à vapeur, plus puissants, utilisant cette nouvelle énergie pour actionner un treuil qui permet de relever le filet.
La navigation à vapeur se conjugue avec l’utilisation de ce nouveau chalut. C’est en 1866 que sont construits les premiers vrais chalutiers à vapeur et à hélice, le Cormoran et le Héron, à Arcachon. C’est un anglais, négociant en denrées coloniales, M. Craggs, associé à des Rochelais, qui lance la première expérience rochelaise de chalutage à vapeur en créant la Société des Pêcheries de l’Ouest, une société par actions, ayant pour but d’exploiter trois petits chalutiers à vapeur construits à Londres : le Normand, le Rochelais et le Breton[10].
Une nouvelle forme d’exploitation économique des pêches apparaît : « les bateaux bourgeois », ou « bagou borc’hizien » comme les nomment les bretons. L’armateur n’est plus embarqué et pour les grands bateaux l’armement est sociétaire. Elle est le fait « d’entrepreneurs capitalistes »[11]. La construction des navires à vapeur exige le recours à des capitaux étrangers à la pêche et en grande partie extérieurs à la région.
C’est le cas à La Rochelle, avec la création au début du XXe siècle de trois grands armements, objet de notre étude.
Une nouvelle phase de prospérité pour La Rochelle
Cité portuaire, située au cœur du Golfe de Gascogne, La Rochelle a connu des phases d’essor, mais aussi des ruptures fortes, marquées par le déclin, voire la ruine de ses activités.
Ce fut le cas après le siège de la ville par Richelieu et les troupes royales, en 1627 et 1628. Elle reprend cependant son activité et l’accroît, grâce au commerce maritime. Ce fut un « solide 17e » puis un « brillant 18e siècle »[12]. La flotte rochelaise triple entre 1664 et 1682, grâce au commerce colonial auquel se consacrent les rochelais, alors que des navires étrangers ou d’autres provinces font le transport du vin et du sel. Les armateurs sont au cœur de ce processus de traite négrière et plus généralement des relations commerciales avec les colonies. Le déclenchement de l’insurrection des esclaves à Saint Domingue, en 1791, conduit, en 1793, à l’abolition de l’esclavage dans cette colonie française, objet de nombreuses opérations « triangulaires » des navires rochelais. Les échanges commerciaux s’arrêtent complètement avec Saint-Domingue et les Antilles en général. En juin 1792, cinq des plus gros armateurs-négociants font faillite : Garesché, Goguet, Perry et Dubois, Guibert, Van Hoogwerff. En 1793, la loi du maximum général[13] raréfie encore les opérations : la ruine du commerce colonial atteint toutes les classes sociales, les uns perdant leurs capitaux, les autres leur travail. Les chantiers de construction navale sont abandonnés, les quais de La Rochelle sont en mauvais état, le port s’envase[14]. La cessation des hostilités avec la Prusse et l’Angleterre permet une reprise des activités du port, grâce aux navires venant de Prusse et du Royaume de Danemark-Norvège. Quelques armateurs, à cette époque, se décident à des campagnes de courses. Le succès des corsaires donne l’illusion de la prospérité retrouvée.
L’Empire voit l’achèvement, enfin, du bassin à flot intérieur en 1808. Napoléon est reçu avec enthousiasme la même année par les Rochelais. Mais lors de la guerre avec l’Angleterre, celle-ci s’assure la maîtrise des mers. Le blocus paralyse le trafic portuaire. En 1809, au large de l’Île d’Aix, la flotte française, qui doit secourir les Antilles, est anéantie. Le port de La Rochelle périclite. Le blocus continental, alors imposé par l’Empereur, oblige à jeter au feu pour les détruire les marchandises de provenance anglaise. Il entraine le recul très important du commerce maritime rochelais, la ruine de La Rochelle[15].
Au XIXe siècle, malgré quelques signes d’un redressement à partir de la Monarchie de Juillet, la « malheureuse cité », comme le dit son Maire en 1825, est dans une situation désolante : « 600 maisons ont été démolies dans son enceinte, 600 autres restent inoccupées ; sa population est réduite presque à la moitié » (depuis 30 ans). Au milieu du XIXe siècle, un timide redressement économique, l’apparition du chemin de fer (dont la gare de La Rochelle est inaugurée en 1857), le creusement du bassin à flot extérieur, ont fait naître de grands espoirs. La ville ne retrouve vraiment son dynamisme qu’à la fin du XIXe siècle, à partir de 1890, avec la mise en service du nouveau port de commerce à La Pallice et l’établissement d’une voie ferrée reliant ce nouveau port, permettant le développement de son trafic maritime, mais aussi de la pêche industrielle dans l’ancien port au centre-ville.
Le port de pêche de La Rochelle devient le 2e port de France en 1926. Les maisons des quartiers autour du port vont se repeupler de marins-pêcheurs bretons et de leurs familles, grâce à la création et au développement de grands armements locaux de pêche[16].
De nouveaux armateurs vont faire de La Rochelle un grand port de pêche
Avec la pêche, de nouveaux noms d’armateurs apparaissent. Les plus grands, Oscar Dahl et Fernand Castaing, viennent d’ailleurs, de Norvège pour le premier, du Bassin d’Arcachon pour le second, via Royan.
Cette pêche hauturière, exploitant de grands chalutiers à coque d’acier et à vapeur, est le fait « d’entrepreneurs capitalistes »[17] qui, comme à Boulogne-sur-Mer ou en Angleterre, constituent des sociétés. Car la construction de tels navires exige le recours à des capitaux étrangers au monde de la pêche et extérieurs à la région, pour une grande partie.
Les premiers chalutiers à vapeur fréquentent le port de La Rochelle en 1898. En 1914 leur nombre atteint 30 unités[18]. En 1904, Oscar Dahl lance le premier chalutier rochelais : le shamrock, long de 36 mètres. Ce sont les débuts de cette nouvelle ère de grande prospérité de la cité rochelaise, liée à cette pêche hauturière.
Le début du XXe siècle voit la création des trois grands armement rochelais à la pêche industrielle :
- En 1904 : les Pêcheries de l’Atlantique, à l’initiative d’Oscar Dahl, norvégien.
- En 1913, l’Association Rochelaise de Pêche à Vapeur (A.R.P.V.), constituée par un groupement d’armateurs : MM. Monbaillarc, Gufflet, Veron, Bousquet, …La famille Menu en devient le principal armateur à partir des années 1930.
- Enfin, en 1918, Fernand Castaing, arcachonnais, fonde la S.A. des Chalutiers de La Rochelle.
Pour lire la suite:
ARTICLE sur les 3 grands armements à la pêche
Voir aussi le site du Musée Maritime de La Rochelle de grande et belle qualité ou figure cet article et bien d'autres témoignages, documents et photos:
[1]MAHE Jean-Louis, Petite histoire de la pêche rochelaise, La Rochelle, 2003, Edition personnelle, pp.27
[2]MOLLAT Michel (dir.), Histoire des pêches maritimes en France, Toulouse, 1987, Ed. Privat, pp.243-244
[3]MUSEE MARITIME, La Rochelle et la pêche, Une longue histoire, plaquette de présentation de l’exposition sur le chalutage à La Rochelle, à bord du France I, La Rochelle, 1989, p.3
[4] ROCHEAU André, Un port de pêche de l'Atlantique: La Rochelle, Il était une fois La Rochelle, n°1, La Rochelle, 1998 – Revue d’histoire, de géographie et d’ethnologie, n°1, La Rochelle, 1998, Rupella, 23 pp.
[5]LE DANOIS Edmond (Dir.), Manuel des Pêches maritimes françaises, fascicule 2, Paris, 1935-36, I.S.T.P.M., pp. 184-186.
[6]Fédération Nationale des Syndicats Maritimes, Lettre aux Camarades secrétaires des syndicats, 14-12-1948, Archives privées CGT des marins La Rochelle
[7]LE DANOIS Edmond, Op. cit, fascicule 3, p.68
[8]FOURNET Philipponneau, L’évolution récente de la pêche rochelaise, Le Norois, n°87, 1975, p.443
[9]MAHE Jean-Louis, op. cit., p.59
[10]Idem, p.35
[11]MOLLAT Michel, op. cit., pp. 254 et 262
[12]DELAFOSSE Marcel (dir.), Histoire de La Rochelle, Toulouse, 1985, Privat, pp.154-196
[13]TULARD Jean, Encyclopaedia Universalis, le portail de la connaissance : lors de la Révolution française, sous la pression populaire née de la disette, est votée, le 27-7-1789, par la Convention, une loi contre l’accaparement, punissant de mort la spéculation. Le 29-9-1793, une autre loi établit un maximum général des prix pour les objets de première nécessité.
[14]DELAFOSSE Marcel, Op. cit., pp.239-240
[15]Idem, p.243
[16]Idem, p.246
[17]Idem, p.262
[18] LE DANOIS Edmond (dir), Manuel des pêches maritimes (série spéciale) n° 11, fascicule 3, Paris, 1936, Blondel de La Rougerie, p.125
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