Autain: "Souhaitable que ça pète"
Propos recueillis par Maud PIERRON
leJournal du Dimanche - 19/1/2009
Clémentine Autain est l'un des visages de la Fédération pour une alternative sociale et écologique, qui a vu le jour en décembre dernier, pour "fédérer tous les partis de la gauche de la gauche".
L'ancienne apparentée communiste explique au JDD.fr que son objectif est d'aboutir à des listes unitaires entre tous les partis de l'extrême gauche en vue des européennes.
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° Entre le recul sur la réforme du lycée, le retrait du texte sur le travail dominical et la grogne des sénateurs sur l'audiovisuel public, pensez-vous que Nicolas Sarkozy commence à perdre la main?
Ce qui est sûr, c'est que les sujets qui fâchent dans la société ne cessent d'augmenter! Victimes de licenciements massifs, juges d'instruction, postiers, profs, salariés de France Télévisions, travailleurs sans-papiers... les secteurs mobilisés ne manquent pas. La manifestation intersyndicale du 29 janvier, qui va surtout porter sur la question du pouvoir d'achat, permettra de faire cause commune. C'est un temps de convergence pour exprimer le sentiment plus large d'un ras-le-bol vis-à-vis d'un gouvernement qui continue de bichonner le système capitaliste, malgré la crise, de diminuer les protections sociales et nos libertés. En face, nous avons besoin de résister ensemble mais aussi de construire une perspective politique alternative. Je sens de la révolte, et elle est légitime. Non seulement les dégâts sociaux liés à la politique du gouvernement et à la crise du capitalisme sont immenses, mais le mépris du chef de l'Etat, y compris à l'égard des mouvements sociaux, n'est pas supportable.
° Vous pensez comme certains de vos camarades que ça peut exploser en France?
Je ne fais pas partie de ceux qui croient toujours que la révolution est pour demain... Mais on ne sait jamais à quel moment cela explose. Avant mai 68 ou les grandes grèves de décembre 1995, personne n'avait rien vu venir. Ce qui est sûr, c'est que le ferment social et la profondeur de la contestation sociale sont là et peuvent produire un mouvement d'ampleur. Il est souhaitable que "ça pète", qu'il y ait un mouvement extrêmement fort, populaire, qui mette un coup d'arrêt à la politique de Sarkozy. Et au-delà, à ce chemin d'accompagnement du libéralisme économique et de l'ordre dominant, qui nous mène dans le mur depuis trop longtemps.
° Donc vous croyez beaucoup à la mobilisation du 29 janvier?
Il y a un potentiel même si rien n'indique que ce sera un raz-de-marée. Mais c'est souhaitable. D'autant que pour la première fois depuis longtemps, c'est un moment unitaire, où vont converger différentes mobilisations sectorielles. Ceci dit, il n'y a pas de proportionnalité absolue entre les motifs réels de se révolter, et la réalité de ce que cela produit en termes de mobilisation. Ce n'est pas la météo!
"Incompréhensible qu'on ne parvienne pas à un accord pour les Européennes"
° Vous venez de vous engager dans une nouvelle structure à la gauche de la gauche, la Fédération pour une alternative sociale et écologique, expliquez-nous.
Ce n'est pas un parti politique mais cette fédération vise au rassemblement de toutes les forces de la gauche alternative. Elle plaide pour un front commun large, avec le NPA, le PG, le PCF, les alternatifs, les collectifs antilibéraux, les alters-écolos.... Réussir ce rassemblement permettrait d'ouvrir une perspective politique. Chacun est trop petit aujourd'hui pour peser seul. La Fédération est un espace qui veut donner de l'écho à l'aspiration unitaire.
° Comment les leaders des autres partis apprécient votre démarche?
Il faut leur demander! On a des contacts avec tous, mais c'est une période compliquée. Puis, il y a différents niveaux. D'abord, on travaille à tout ce qu'on peut faire ensemble pour résister en ce moment au gouvernement. Et puis il y a un deuxième temps, celui des échéances électorales. Les Européennes de juin représentent une élection importante, où il est possible de faire des listes communes larges, qui créent l'événement.
° A l'image de ce qu'on fait les écologistes...
Un peu, même si j'aurais préféré que José Bové (qui a rejoint le rassemblement écologiste) soit avec nous.... Le rassemblement des écolos se fait sur la base d'un repli sur les enjeux environnementaux qui, s'ils sont absolument cruciaux, doivent s'articuler avec un changement radial sur le plan économique, avec une remise en cause de la logique du profit. Les listes d'un front large d'une gauche digne de ce nom pourraient porter ce projet plus global. Sur le fond et stratégiquement, les bases d'un accord existent. En termes de contenu, on sait que les convergences sont infiniment plus importantes que les clivages. Nous avons pu le tester à l'occasion de la campagne contre le traité constitutionnel européen en 2005. Sur la stratégie, on est également sur la même longueur d'onde car à l'échelle européenne, il n'est absolument pas question de gouverner avec la sociale démocratie, qui travaille avec la droite! Cela répond à la question du NPA qui interpelle toujours sur les alliances avec le PS. Là, il n'y a pas d'ambiguïté possible. Ce serait donc complètement incompréhensible qu'on ne parvienne pas à un accord. Il en va de notre lisibilité et de notre crédibilité.
° Comment jugez-vous cet émiettement à la gauche de la gauche depuis quelques mois?
Sommes-nous toujours dans une phase de décomposition de la gauche de la gauche ou à l'orée d'une grande recomposition? C'est difficile aujourd'hui, sans trop de recul, de savoir ou l'on se situe exactement. Mais dans tous les cas, reconstituer des pôles politiques cohérents, avec des formes nouvelles, ça prend du temps. Rien ne vaut d'y renoncer.
"La promotion d'Hamon fait partie des choses étranges du PS"
° On vous annonçait au NPA, et finalement, vous n'y allez pas...
J'ai dialogué avec le NPA dès le début du processus. Olivier Besancenot est un porte-parole populaire et efficace. Par ailleurs, au moment où la LCR a lancé le NPA, elle était la seule à avancer une proposition politique nouvelle. Autre point non négligeable, le NPA draine une nouvelle génération militante. Ce n'est pas du luxe dans notre espace politique. Mais le NPA, pour de multiples raisons et notamment celle du poids de la culture de la LCR en son sein, ne rassemble pas l'ensemble de la gauche de la gauche à lui seul. Cela a des implications sur ses conceptions stratégiques et son programme. Et depuis, Jean-Luc Mélenchon est sorti du PS pour créer le Parti de Gauche et différents courants politiques ont lancé la Fédération.
° Il y a déjà eu des tentatives de rassemblement à l'extrême-gauche, elles ont achoppé. Pour quelles raisons?
Il y a de réels enjeux de stratégie, avec les uns qui insistent sur la nécessité de constituer des majorités, et les autres qui revendiquent d'abord et avant tout l'indépendance vis-à-vis du PS. Je pense pour ma part que les deux termes sont importants. Mais il y a aussi des histoires de "boutiques". Les organisations constituées ne se dépassent pas en claquant des doigts. Les questions de leaderships jouent également: chacun veut rassembler mais autour de lui... Ce n'est pas qu'un problème d'égo car la question du leadership va avec celle de la culture politique. Au fond, chacun veut imposer la sienne aux autres quand il faudrait mêler le meilleur de toutes les traditions.
° Revenons au PS, d'ici 2012, vous pensez pouvoir vous entendre avec lui?
Ce n'est pas mon état d'esprit. Aujourd'hui, deux grandes orientations existent à gauche et l'autre gauche, la nôtre, n'est pas soluble dans le projet politique actuel des socialistes.
° Pourtant Martine Aubry promet un PS plus à gauche...
Je retiens surtout une chose du congrès du PS: les trois motions, qui présentaient de grandes similitudes en termes d'orientation politique, ont récolté 80% des voix. Elles portaient un programme d'accompagnement du libéralisme économique. La focalisation des médias sur les querelles de personnes a masqué la clarté et l'unité de l'orientation du PS. Il n'y a qu'à lire la dernière Charte adoptée par ce parti. Après, que ce soit Pierre, Paul ou Jacques, qui dirige le PS, cela ne change pas son orientation politique. Même si je me réjouirais toujours de celles et ceux qui, en son sein, portent les discours les plus progressistes et se targuent d'être plus à gauche.
° Mais la promotion de Benoît Hamon, leader de l'aile gauche du PS, c'est un signe...
Quand je l'entends, en effet, ça me parle davantage que quand j'entends les autres! C'est clair. Mais sa promotion fait partie des choses étranges du PS. Il a proposé la seule motion différente des autres, qui a recueilli 20% des voix. Et ensuite il est nommé porte-parole du PS. Pour moi, ça veut dire que quelque chose tourne bizarrement au PS.